Hey par ici, voilà une petite éternité que je n’étais pas venue écrire quelques mots. Je reprends la plume virtuelle pour une bonne raison aujourd’hui : c’est la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, et j’ai envie d’y participer en vous racontant mon histoire.
Alors voilà : je m’appelle Aurélie, j’ai 41 ans et je suis autiste. Je porte le syndrome d’Asperger, je vis avec cette particularité de l’être depuis toujours. Pourtant, je ne le sais que depuis un an. L’autisme est un spectre, il est large et accueille plusieurs formes d’autisme. L’Asperger, qu’on appelle aussi parfois autisme “léger” ou “de haut niveau”, est une forme d’autisme qui réunit, entre autres, trois caractéristiques principales : des difficultés pour les interactions sociales, des intérêts spécifiques et des comportements répétitifs. Il n’est plus aujourd’hui considéré comme une maladie mentale mais comme une différence neurologique, c’est à dire que le cerveau a un fonctionnement différent. J’ajoute que l’Asperger est considéré comme étant génétique, et donc potentiellement héréditaire. Les connaissances du syndrome évoluent encore aujourd’hui, et l’appellation Asperger est d’ailleurs en train de disparaître au profit d’autres termes.
Parce que l’autisme de manière générale est encore très méconnu, et parce que le syndrome d’Asperger féminin a été très peu étudié à l’échelle mondiale, mon cas n’est certainement pas isolé. Sur instagram, je vous ai demandé il y a quelques jours de me poser des questions, et je vais y répondre ici, maintenant. C’est parti !
Comment t’es venue l’idée du diagnostic ?
Vous êtes nombreux à me demander régulièrement : comment un adulte peut-il en arriver à se dire un beau jour, “tiens, et si j’étais autiste, en fait ?”
Pour ma part, je m’en suis doutée une fois déjà il y a quelques années, mais les recherches rapides que j’ai effectuées m’ont tout de suite découragée. Je suis tombée sur un article qui décrivait l’autisme masculin très stéréotypé, qui est une forme qui existe, mais qui n’est pas nécessairement la réalité de l’ensemble des autistes. Chez les femmes Asperger, par exemple, on a observé une sur-adaptation qui les fait passer très souvent entre les “mailles du filet” du diagnostic.
Il y avait bien certains détails qui collaient, mais pas tous. J’ai donc laissé tomber.
Ce qu’il faut bien savoir, quand on se demande, à l’âge adulte, si on ne pourrait pas être autiste, c’est qu’en général, toute sa vie, on s’est senti différent. Il y a plein de qualificatifs un peu vagues, qui ne parlerons pas forcément aux personnes non autistes (appelées aussi “neurotypiques”) : cette sensation, en situation sociale, de visualiser la scène en dehors de son corps. Ce n’est pas vraiment moi qui parle et agit, je suis là mais absente, en dehors. J’observe, je m’observe en train d’interagir, pour mieux surveiller ce que je fais et dis et me fondre dans la masse, être “appropriée”.
Il y aussi ce sentiment d’être toujours “à côté” (de la plaque ?), de bien voir clairement ce que les autres font, mais de ne jamais réussir à vraiment comprendre pourquoi. Les codes sociaux qui semblent innés et si évident, comme une seconde nature, aux non autistes, nous paraissent à nous très étranges. Imaginez aller dans un pays lointain aux coutumes très différentes des vôtres. Et bien voilà ! C’est comme ça pour moi. Évidemment, à force d’habitude, je reconnais ces codes, je peux même les adopter et passer inaperçu. Mais jamais ils n’ont vraiment de sens pour moi.
Je vous donne un exemple : les vêtements. Il en existe pour femme, pour homme, il y a des codes de couleurs, il y a des codes selon les endroits, selon les événements. Ce que je peux comprendre, c’est qu’on s’habille par pudeur, et pour se protéger du froid. Mais devoir mettre des vêtements différents parce qu’on est un homme ou une femme, pouvoir mettre un maillot sur la plage mais pas en ville, devoir mettre un pantalon de costume plutôt qu’un pantalon en jean pour un entretien d’embauche ou un mariage, ça ne porte pas de sens qui réponde à une logique que je puisse comprendre. Je fonctionne en terme de propreté et de confort, toutes les autres variations me sont étrangères. En plus, il est admis que les autistes mobilisent jusqu’à 7 fois plus de capteurs sensoriels, ce qui rend le port de certains vêtements absolument insupportables : lingerie qui gratte, pulls qui piquent, robe qui étrangle… J’ai bien essayé, à plusieurs reprises, de faire des “efforts” parce que c’est ce qui était attendu de moi, mais c’est compliqué, difficile.
Je m’éloigne un peu de la question, alors j’y reviens : il y a un an, je suis tombée (par hasard ? ou bien l’algorythme a-t-il reconnu dans mes recherches quelque chose d’associé ?) sur une vidéo Youtube de la chercheuse Julie Dachez. Elle est elle même porteuse du même syndrome, et elle se proposait d’expliquer ce que c’était, d’être autiste. Pleine des idées préconçues associées à l’autisme (coucou les films comme “rain man” qui jouent sur le sensationnel et véhiculent des idées incorrectes ou incomplètes), je me suis dit “hein ? elle est autiste ? mais non. Elle a l’air d’une humaine très classique.” Alors j’ai regardé sa vidéo, j’ai écouté ce qu’elle disait, et je me suis dit “ok, je suis autiste aussi”.
Comment as-tu fait ton diagnostic, avec qui ?
Après cette révélation, j’ai voulu en être sûre, et si pour beaucoup d’autres Asperger qui pensent l’être il est très difficile d’aller plus loin parce que cette nouvelle chamboulerait toute leur vie, de mon côté, il FALLAIT que je sache. J’ai commencé par lire le blog de Julie Dachez, pour prendre des renseignements, et puis j’ai appelé le centre des ressources autistiques (CRA) de ma région. Des gens super gentils mais super débordés m’ont annoncé que dans mon coin, il n’y avait pas grand chose de prévu pour les adultes, et que si je voulais un diagnostic gratuit, j’allais certainement devoir attendre 2 ou 3 ans.
Je suis du genre extrêmement impatiente, j’estimais avoir suffisamment attendu (40 ans sans savoir, zut !) et j’avais la chance, moyennant de se serrer un peu la ceinture quelques temps, de faire un diagnostic privé, et donc payant (pour les curieux, ça a coûté environ 600 euros, dont très peu remboursés).
Le CRA m’a communiqué une liste de professionnels spécialistes du syndrome d’Asperger adulte et familiers des particularités du syndrome féminin. J’ai d’abord contacté une psychologue, qui m’a proposé un RDV 3 mois plus tard. Notre entretien a duré une petite heure, elle m’a posé énormément de questions : certaines très vagues, certaines très précises, certaines sur ma vie actuelle et certaines sur mon enfance. Ce que j’aime, ce que je déteste.
À l’issu de l’entretien, elle m’a annoncé qu’il lui paraissait pertinent de continuer le diagnostic parce que je correspondais à un profil Asperger. Je précise, à toute fin utile, parce que je lis parfois que les diagnostics privés sont des diagnostics de complaisance (c’est à dire que le psy annonce un autisme au patient quand ce n’est pas forcément le cas, parce qu’il a payé pour ça), que j’ai envoyé un ami vers cette même dame et qu’elle lui a dit rapidement que son profil ne correspondait pas et qu’il n’était pas nécessaire qu’ils se revoient. Je ne sais pas si les diagnostics de complaisance existent, je n’en ai pas l’expérience.
Elle m’a ensuite fait parvenir un questionnaire type, par E-mail, avec 80 questions. Je devais y répondre et le lui renvoyer. Chaque question, à la discrétion du psy, correspond à un nombre de points, et le score final indique la probabilité de porter le syndrome. Mes chances étaient de 76%, nous avons donc continué. La psychologue m’a présenté un programme de tests à effectuer au cours de plusieurs RDV, notamment un test psychométrique (QI) car elle soupçonnait un HPI (haut potentiel intellectuel). La note du devis était salée pour mes moyens financiers, alors on a réfléchit elle et moi à des solutions. Elle m’a dirigée vers sa collègue psychiatre, qui est médecin est donc en partie remboursée (en plus d’être seule habilitée à fournir un diagnostic “officiel”), et m’a proposé de n’effectuer le test psychométrique (qui coûte environ 300 euros et n’est pas remboursé) que dans le cas où il deviendrait nécessaire à l’établissement d’un diagnostic.
C’était donc parti pour la suite : la psychiatre m’a reçue 2 mois plus tard. Elle était super sympa, très compétente et une bonne organisation avec sa collègue psychologue a permis de passer le dossier facilement sans avoir à répéter les mêmes choses. Nous avons fait 3 RDV.
On a parlé de mon enfance, de mes habitudes, et pour la première fois de ma vie j’ai partagé avec quelqu’un, mes petits rituels secrets et invisibles. J’ai appris que ça s’appelle des stéréotypies : certains se balancent, certains comptent, certains récitent une phrase, bougent leurs mains, tripotent un objet, leurs cheveux… C’est un geste “doudou”, qui permet de garder pied, de se concentrer, de se calmer.
Elle m’a parfois posé des questions auxquelles elle n’attendait pas vraiment de réponse, pour observer ma réaction. Elle ne me l’a pas dit, mais je l’ai compris. Je vous donne un exemple : quand on me demande “Et sinon, chez vous… ?” pour moi c’est extrêmement vague. La plupart des gens vont répondre “oui ça va bien merci !” mais mon cerveau voit trop de possibilités. Et chez moi ? Quoi donc ? Est ce que c’est grand ? Est ce qu’il y a des animaux de compagnie ? Est ce que c’est dans le nord de Paris ou le sud ? Est ce que chez moi je fais la vaisselle ou est ce que c’est mon mari ? Alors face à ma réponse “heu… Quoi donc chez moi ?”, elle n’a pas reformulé, j’imagine qu’elle avait ce qu’elle voulait.
Elle m’a fait manipuler quelques objets, a observé mes gestes. Au 3ème RDV, elle m’a confirmé le diagnostic, et je suis repartie avec un certificat. En tout, il y a eu 5 RDVS physiques et 1 échange virtuel (questionnaire), sur une durée de 6 mois.
Y a-t-il un suivi pour t’aider ?
La psychiatre me l’a proposé, si j’en ressentais le besoin. Je peux obtenir un remboursement à 100% de mes séances en cas de difficultés à gérer mon autisme. Certain-e-s ami-e-s autistes le font, il ne faut pas hésiter ! Il n’y a pas de problème, ou même de honte à ressentir. Personnellement, je n’en ai pas besoin. Je vis avec depuis très longtemps, et j’ai appris à le gérer. J’ai déjà eu l’occasion de suivre une petite analyse il a 10 ans, pendant environ 1 an et demi, pour des raisons qui ne sont pas du tout liées à l’autisme, plutôt à mon passé d’enfant maltraité. C’était super utile, et j’ai arrêté quand j’ai ressenti que je n’en avais plus besoin. D’ailleurs, la psychiatre à l’époque n’avait rien soupçonné de mon autisme : pour dire à quel point le syndrome est mal connu, en France en particulier… Beaucoup de psy rapportent n’avoir eu qu’un cours de quelques heures à ce sujet dans tout leur cursus.
En résumé : moi, je ne le fais pas, peut être qu’un jour je changerai d’avis, je ne sais pas ! Et si une autre personne autiste en a le besoin, n’hésitez pas. On a tous des besoins différents, des caractères différents. Il doit certainement exister autant d’autismes différents que d’autistes sur la planète !
Quel est ton avis sur les traitements médicamenteux ?
Je n’en ai pas. Tout comme le suivi par un psy, c’est à chacun de faire en fonction de ses besoins. Personnellement, les substances qui modifient la chimie dans le corps me rendent toujours malade, alors je ne prends presque jamais rien. Café, alcool, calmants, anti-douleurs… Toutes ces molécules ont des effets primaires décuplés et des effets secondaires vraiment gênants sur moi alors je n’en consomme pas, tout simplement.
Je profite de cette question pour en poser une autre, qui fait largement débat : faut t-il guérir les Asperger ? Pour ma part, je dis que je “porte” le syndrome, je n’en suis ni atteinte ni souffrante. Ce n’est pas tout le temps facile, mais même si j’avais le choix, je ne changerais pas qui je suis. Il y a des inconvénients, et des avantages : je prends tout, le pack au complet, et je fais avec.
Quelle a été la réaction de tes proches ?
Ceux que je considère comme “proches” (je suis super littérale avec les mots) sont des gens de qui je me sens proche et qui se sentent proches de moi (sans distinction, amis ou famille). C’est à dire que nous avons quelques valeurs, idées en commun, que nous échangeons très souvent, et avons une relation basée sur l’affection inconditionnelle. En gros, je les aime malgré leurs petits défauts et ils font de même. Du coup, cette annonce a parfois été étonnante, parce qu’ils ne soupçonnaient rien, mais rien n’a changé. Ils acceptaient déjà mes particularités avant que je sois officiellement autiste, ils n’ont donc pas besoin de faire des efforts supplémentaires maintenant.
Globalement aucune réaction n’a été négative.
Comment arrives-tu à le gérer avec tes proches et en particulier tes enfants ?
Assez simplement, j’ai de la chance. Attention ça ne veut pas dire que c’est facile, mais on trouve des compromis. Je fais les efforts que je peux, ils font les efforts qu’ils peuvent. La majorité des gens sont compréhensifs, et l’ont d’ailleurs toujours été. Au delà de l’autisme et de l’atypie, du handicap ou de n’importe quelle divergence, minorité… de ce qui est acquis comme la norme sociale, je crois sincèrement qu’on peut accepter les êtres humains avec leurs spécificités. Il n’y a pas “un moule” et puis tout ce qui est à côté est inapproprié. Autiste ou pas, on est sûrement tous le relou de quelqu’un d’autre !
Mes enfants comme mes autres proches savent que je ne peux pas me mettre dans certaines situations, mais c’est finalement des particularités que n’importe qui pourrait avoir donc c’est simplement une question de compréhension. J’ai le vertige, telle copine non autiste est claustrophobe alors que moi pas. Il ne me viendrait pas à l’idée de la mettre dans une situation difficile, c’est juste un échange de bons procédés non ? J’ai juste plus de particularités que la moyenne, en tant qu’autiste, et moins de capacités à m’adapter ou comme on le dit communément, faire des efforts.
Mes petits savent que je supporte très mal les sons forts : c’est physiquement douloureux, comme une otite. Ils font attention, et moi de mon côté je porte des protections auditives quand ce n’est plus possible autrement.
Certains autistes choisissent de ne pas avoir d’enfants à cause, principalement, de toutes les difficultés sensorielles et/ou du stress que ça peut apporter dans la vie d’un parent. C’est un choix très valide, encore une fois à chacun de faire selon ses capacités, ses besoins, ses possibilités. Chacun gère avec ce que la vie lui a donné.
Identifies-tu des conséquences sur les relations avec tes enfants ?
Honnêtement, je ne sais pas. J’ai tendance à dire non ! J’ai parlé avec tellement d’autres mamans au cours de ces 12 dernières années que je pense vraiment que je suis juste une maman. Certaines sont strictes sur des choses et pas sur d’autres, certaines ont une idée très carrée de la sécurité, de l’éducation, de la parentalité, et pas d’autres. J’ai des amies qui adorent lire des histoires, moi je déteste ça. Par contre je fais d’autres choses, les mamans sont des êtres humains avec des compétences qui ne sont pas identiques de l’une à l’autre. Donc je ne suis pas différente des autres.
Je ne peux pas parler au nom des autres mères autistes, je suis moi et elles sont elles : moi, j’ai un lien très fort avec mes enfants, ils sont sans doute les humains avec qui j’ai la compréhension mutuelle la plus forte. Ils sont, avec mon mari, les êtres humains envers qui je ressens le plus gros attachement. Je m’attache rarement à d’autres êtres, car je crée du lien différemment de ce qui est considéré comme la norme. Je fonctionne très peu par amour et beaucoup par empathie, qui est d’ailleurs plus une empathie collective. Je suis capable de ressentir une empathie extrêmement forte (plus forte que la norme) ou une tristesse exacerbée pour une personne ou un groupe de personnes qui serait en difficulté, par exemple. Pour autant, je ne vais pas forcément voir “la personne en particulier, avec son nom, sa couleur de cheveux, son genre…”, mais un être qui a besoin, là tout de suite, d’une empathie et d’une écoute. Si une personne vient me poser une question, pour obtenir mon aide, je peux me démener pour lui répondre ou l’écouter. Je vais être sincère. Malgré tout, je vais peut être l’oublier ensuite, mon cerveau ayant formé un lien d’empathie momentané mais pas un sentiment. Bon je m’éloigne un peu, mais c’est pour essayer de vous donner une idée. Pour avoir beaucoup observé les non autistes, dans la vraie vie ou dans les films, romans etc… J’ai bien compris que je suis capable de créer des sentiments et des liens, mais j’ai compris aussi qu’ils sont différents. Il y a quelques cas particuliers, dans lesquelles je crée un sentiment d’amitié ou d’amour classique, mais c’est peu fréquent et j’ignore totalement pourquoi ou comment.
Être diagnostiqué peut-il représenter un frein pour certaines institutions (prêt bancaire…) ?
À ma connaissance, non. C’est peut être même illégal, je n’ai pas de compétences juridiques pour le dire. De toutes les façons, ce n’est pas écrit dans mon dossier médical, ma seule preuve c’est l’attestation de la professionnelle qui m’a diagnostiquée. Je suis libre de ne pas donner cette information. Je connais des autistes qui n’ont pas partagé cette nouvelle avec leur famille, mais seulement avec d’autres personnes autistes.
Parfois, ça pourra être super utile de le dire, pour vous faciliter un peu la vie et éviter de vous sur-adapter, parfois vous trouverez peut être opportun de ne rien dire, parce que certaines oreilles ne sont pas prêtes à recevoir cette info. Mon seul conseil, quoi que vous décidiez, c’est de penser à vous, et d’être fière de vous. Le reste, c’est de la stratégie de bien être.
Comment te sens tu ? Qu’est ce qui est le plus handicapant au quotidien ?
En ce moment ça va super bien, merci d’avoir demandé ! Il y a des périodes avec et des périodes sans, comme on dit.
Ce qui est handicapant pourra varier d’un Asperger à l’autre. Voilà quelques exemples pour mon cas :
- L’hypersensibilité sensorielle : la lumière me fait mal aux yeux, et je dois faire des compromis avec ma famille pour allumer les lampes dans la maison. Le son au cinéma est douloureux, certains vêtements me font péter un plomb, et je peux sentir les odeurs que les autres ne perçoivent pas. Il y a des choses que je ne suis pas du tout capable de supporter même avec toute la bonne volonté du monde : l’odeur du poisson, le goût des tomates crues, la texture des aubergines ou celle de l’ardoise, marcher au dessus du vide. Je peux crier, pleurer, partir en courant, avoir une forte nausée… J’entends tous les petits sons que vous ne percevez pas comme les vibrations d’un appareil électronique, certaines fréquences…
- L’hypersensibilité émotionnelle : je supporte très mal l’injustice, la violence… et je garde les images négatives imprimées devant moi pendant plusieurs semaines/mois. La maltraitance, l’oppression, la cruauté… quand la majorité des gens vont trouver ça triste puis passer à autre chose, je peux en pleurer pendant des jours. Il existe une expression qui dit : “porter la misère du monde sur son dos”, et elle fait partie des dictons qui me parlent littéralement. Ce qui est pénible parce que parfois j’aimerais militer, mais je ne suis pas toujours capable d’aller en manifestation par exemple. Certaines phrases ou images sur les pancartes vont me faire me rouler en boule et crier ! Je classe ça dans la sensibilité émotionnelle, mais il y a aussi cette sensation extrêmement étrange de pouvoir ressentir les ambiances. Quand je rentre quelque part, l’endroit a comme des vibrations ou une sorte d’aura. Autour des gens aussi. Il y a des ambiances positives et des négatives. Je sais que beaucoup d’autres personnes autistes sont capables de ressentir ça, mais je crois que ça contribue certainement à nous faire passer pour des toctoc.
- Les normes et les codes. On dit parfois que le handicap est créé par la société quand elle ne s’adapte pas aux particularités des uns et des autres. C’est certain que, quand on attend de moi que je fasse certaines choses “parce que c’est comme ça”, ça me crée un handicap.
- Les interactions sociales : j’expliquerai un peu plus bas pourquoi elles sont fatigantes. Elles sont aussi compliquées, parce que ce n’est pas inné et naturel pour moi de lire le langage corporel. J’ai appris, mais si c’est subtil clairement ça ne passera pas. Les sous entendus sont compliqués. Le second degré, ça marche seulement si c’est accompagné d’un clin d’œil ou d’une expression évidente. Je crois que l’Asperger est plutôt pragmatique et littéral, en gros il faut que ça soit clair et logique. Notre bête noire, c’est les petites conversations où on parle “de la pluie et du beau temps”. Là vraiment je bloque, je ne sais jamais quoi dire, et cède parfois à ce qu’on appelle “l’écholalie”, c’est à dire répéter la fin de la phrase de l’interlocuteur. Par exemple à “Vous vous rendez compte, quelle histoire”, je réponds “quelle histoire”.
- Les phobies : j’ai peur du vide, de la vitesse et des araignées. Ce sont des peurs vraiment très fortes, qui me tétanisent et me font pleurer. Si je suis chez moi, tout va très bien par exemple, alors ça ne va pas moisir mon quotidien en général, mais si je dois dormir dans une vieille maison de campagne par exemple, ça se rapproche assez vite de l’enfer !
- Les changements : j’ai besoin de routine, de petites habitudes, de rituels. S’adapter aux changements ça veut dire une anxiété conséquente, une grosse fatigue… Partir en vacances et loger ailleurs que chez moi est toujours difficile par exemple. Il faut que je m’adapte à des odeurs différentes, des sons différents… Ça peut paraître démesuré à des non autistes qui ne vivent pas l’hypersensibilité mais dormir dans des draps qui ont une odeur de lessive différente ça peut me flinguer totalement la nuit. Quand on part, depuis toujours, on s’organise. Et jamais de surprise ! Je ne sais pas du tout les gérer.
- La fatigue : Julie Dachez l’explique très bien dans une vidéo sur la “théorie des cuillères”. Être autiste et évoluer dans un monde pensé par et pour les non autistes demande de l’adaptation. Il y a certains jours moins faciles que d’autres. Chaque adaptation mobilise de la concentration et un effort qui peuvent vite être épuisants. Après un gros stress, ou un événement social, il faut en général que je dorme. Non seulement l’adaptation est énergivore, mais en prime il y a cette constante alerte du cerveau : contrairement à un cerveau non autiste qui filtre les informations qui sont immédiatement inutiles, le cerveau autiste ne filtre pas grand chose. Alors pendant que je parle à quelqu’un dans un café par exemple, qui est une situation assez banale, je n’entends pas seulement ce que dis la personne. Je vois la matière de sa peau, le mouvement de ses yeux et les reflets de la lumière dedans, le détail de ses vêtements, la texture, tiens ses chaussures me font penser à un souvenir du collège qui n’a rien à voir… La machine à café ça va pas être possible là, pareil pour les tasses qui s’entrechoquent. C’est quoi cette musique ? Je connais pas et j’aime pas trop. Il est sympa ce sachet de thé, j’en avais jamais vu comme ça avec des dessins aquarelle, tiens ça me rappelle ce compte instragram que ma copine m’a montré, d’ailleurs je me souviens aussi de ce qu’elle m’a dit à propos de son fils, j’espère qu’il va mieux. Le thé est super bon mais la musique est naze, j’espère que je vais tenir le coup. Ma chaussette gauche me gêne. Je sais pas ce qu’ils font cuire mais ça sent super fort. On peut mettre la musique moins fort ? Quand je rentre je vais regarder s’il me reste de la peinture dorée parce que je viens d’avoir une idée pour fabriquer un truc cool. Mon interlocuteur porte une chemise à carreau, dans 4 mois je vais me souvenir très précisément du motif et des couleurs. Ça a été inventé quand d’ailleurs la teinture ?
Voilà : ce petit interlude dans mon cerveau, c’est un aperçu de pourquoi ça me fatigue de discuter avec quelqu’un. Pas parce que ça m’ennuie ! (ça arrive, on ne peut pas apprécier tout le monde) mais surtout parce que pendant que je discute avec une personne, je dois suivre tous les autres stimulis, toutes mes autres pensées, et sans oublier que je suis aussi toutes les autres conversations qui ont lieu autour de nous. Je ferais probablement un super espion ! Mais c’est vraiment épuisant. Je ne le contrôle pas du tout, je ne suis pas capable de faire le vide ou de trier les informations qui m’entourent. Pendant longtemps quand j’étais petite, je m’étais dit que je n’étais pas humaine. J’avais l’impression d’être comme ces vampires dans les films qui ressentent et entendent tout hyper fort, sauf que j’avais pas de canines pointues donc ça devait être autre chose, mon problème. Peut être une mutante x-men : ça serait la super classe.
Quel est ton rapport aux relations humaines (amour, amitié…) ?
Comme je le disais un peu plus haut, je ne suis pas incapable de ressentir ou d’avoir des relations : elles sont différentes. Parfois beaucoup plus fortes que la “norme”, parfois beaucoup moins, parfois encore incomparables. J’ai appris les codes sociaux, en général en les observant et en les reproduisant tout simplement. Il y en a certains que je comprends, qui ont un sens pour moi, et d’autres qui restent encore un mystère. J’ai besoin que les choses aient un sens, une logique. Quand des humains font des choses sans trop savoir pourquoi, au final, mais il y a cette habitude, cette coutume… Moi j’ai besoin de remettre les choses en question. Petite, je recevais souvent en réponse à mes questions : “c’est comme ça” ou “tu comprendras quand tu seras grande”. Ça m’a toujours terriblement frustrée. En grandissant, puis en devenant adulte, j’ai souvent pris des décisions jugées marginales parce que j’ai besoin de sens dans tout ce que je vis. Je suis capable du jour au lendemain de me dire “mais, pourquoi je fais ça au juste ?” et réaliser que ça n’a pas de sens et changer complètement. Je ne sous entend pas que c’est mal de faire des choses parce que c’est la tradition (sauf si ça fait du mal à des êtres évidemment), je pense seulement que moi ça ne suffit pas à mon bonheur. Chacun sa simplicité !
Parce que c’est aussi un aspect très important dans les relations humaines chez les autistes, je crois qu’il est important de parler du mutisme sélectif. Ça peut se manifester de deux façons, à ma connaissance : soit dans une situation difficile, l’autiste va devenir incapable de parler, et va rester muet plusieurs heures/jours… Soit l’autiste peut avoir une très mauvaise expérience avec une personne (qui lui ment, lui manque de respect, se moque d’elle…) et va ensuite se retrouver dans l’incapacité de former une discussion avec cette personne. C’est pas de la mauvaise volonté, c’est pas “faire du boudin”, c’est un mécanisme qui se bloque quelque part au niveau neurologique. Les mécanismes dit “de survie” chez un autiste sont souvent complètement démesurés. Moi, chaque fois que je ferme mes volets au 6ème étage, mon cerveau m’envoie toutes les images des morts qui m’attendent si je tombe. J’ai beau dire “non merci, je suis pas truffe non plus hein”, ben il s’en fiche. C’est son côté petite mémé flippée. C’est vraiment pas agréable mais bon ! Je ne contrôle pas. Je pense que ces mécanismes de survie et de défense s’appliquent aussi aux relations humaines.
À propos de l’amour et de l’amitié : je ressens ces sentiments, je sais que c’est possible pour moi en tout cas. Je ne peux pas parler au nom de tous les Asperger. Par contre, je vais être honnête, ça arrive bien moins souvent que pour les autres gens, je le vois bien. Un autre truc que j’ai remarqué depuis toujours, à propos du sentiment amoureux : je suis capable de cesser de le ressentir d’un seul coup, mais vraiment paf comme ça. J’ai toujours trouvé ça super étrange, avec le recul je pense que c’est une de mes particularités d’autiste. Certains Asperger aiment avoir une personne dans leur vie, d’autres pas. Certains ressentent de l’amour pour cette personne, d’autres juste un attachement. Le principal, c’est de trouver ce qui fonctionne.
Qu’est ce que le diagnostic a changé pour toi ? A t-il changé ton regard sur toi même ?
J’ai conscience que c’est une réponse vraiment confuse, mais ça a à la fois changé tout et rien.
Ça ne change pas qui je suis ni ma façon d’être, de vivre. Ça ne change pas ce que je fais, ce que je dis.
Mais ça change l’affection que j’ai pour moi, l’estime que j’ai de moi, parce que, tout simplement, ça me VALIDE. Maintenant je sais qui je suis, je sais pourquoi. Quand on correspond aux normes du monde, on sent qu’on en fait partie et il n’y a pas besoin de se mettre une “étiquette”, une définition. C’est un peu le privilège de la majorité qui n’a pas besoin d’être nommée, puisqu’elle est la norme implicite. Par exemple, un neurotypique ne ressent pas le besoin de dire qu’il est neurotypique, il est tout simplement. Un humain atypique, en revanche, ne trouve pas le moule adapté à sa forme pour dire qui il est. Majorités ou minorités, on reste humains : on a besoin de trouver notre place dans l’univers. Si on ne définissait jamais personne, ça ne poserait pas de problème, mais ce n’est pas ainsi que fonctionnent la plupart des sociétés.
Comment analyser ton adolescence rétrospectivement ?
Ça a été, finalement, le plus gros choc dans mon diagnostic. J’ai passé des mois à revivre des centaines de souvenirs, avec ce nouveau regard. Je vais être franche, globalement c’était pas agréable. Mon cerveau a surtout rappelé à mes bons souvenirs les situations injustes. Les punitions quand je ne voulais pas manger. Les moqueries, les incompréhensions. Enfant, adolescente ou adulte, peu importe finalement : ce qui est difficile à admettre, c’est de ne pas être écouté. C’est marrant, parce que j’ai souvent eu ces étiquettes là : exigeante, pénible, hautaine. Mais jamais autiste ! Même les gens les plus méchants sur mon parcours n’ont pas eu cette idée, pourtant ça m’aurait fait gagner du temps.
Un problème que j’ai souvent rencontré dans ma vie, c’est une interprétation incorrecte (de la part des autres) de ce que je pensais/ressentais. Si on m’avait filé 1 euro à chaque fois que j’ai entendu “je croyais que tu te la pétais mais en fait t’es très sympa”, à l’heure actuelle je pourrais être en voyage aux Caraïbes. Enfin non pas là maintenant, y a le Covid-19.
Quand j’avais 17 ans, ma prof de littérature était allée voir mon père pour lui dire “je pense qu’Aurélie ne peut pas me supporter, elle me regarde méchamment”. Je vous raconte pas mon niveau d’hallucination ! J’avais absolument rien contre elle, et j’ai jamais essayé de la regarder méchamment. J’allais en cours, je me concentrais…et c’est tout. Et dire qu’on dit des autistes qu’ils se posent trop de questions ! Bon voilà, c’est pas bien grave, mais vous imaginez que ça fait partie des choses qui viennent maintenant s’ajouter à ma dépense énergétique : faire attention à ne pas avoir l’air de détester quelqu’un que je ne déteste pas (globalement je m’en sors bien mais parfois ça dérape encore !).
Parfois, quand j’ai eu besoin de me concentrer et que j’ai parlé à une personne sans la regarder dans les yeux, cette personne a pensé que je lui mentais. Ou que je lui manquais de respect. C’est apparemment très courant chez les autistes, que les intentions soient très mal interprétées, car nos langages corporels peuvent être différents. C’est assez paradoxal, car les autistes sont reconnus pour être très honnêtes quant à leurs sentiments, pensées… D’ailleurs, ça aussi ça a été une source de soucis. Je n’ai jamais compris les hiérarchies entre humains et je parle de la même façon à un enfant, une personne âgée, la banquière, le recruteur ou mon pote. L’étiquette, c’est fatiguant parce qu’il faut s’en souvenir, c’est différent dans plein de situations. J’étais tout le temps en colle, au lycée. À 4 ans, j’ai pris le savon de ma vie par la directrice parce que je l’ai vue fouiller dans les bennes et j’ai dit “ben alors, tu fais les poubelles maintenant ?”, apparemment ça se dit pas à la directrice. Pourtant moi si je l’avais fait la directrice me l’aurait sûrement dit.
À mon prof de sport de terminale, si tu me lis : j’ai eu peur de plonger tête la première dans la piscine à l’épreuve du bac. J’en étais totalement incapable, j’ai la phobie du vide et des étendues d’eau dont je ne vois pas le fond. Je t’ai dit que je pouvais entrer dans l’eau par le rebord puis faire mes longueurs, mais tu as refusé parce que je devais faire comme tout le monde. Oui mais tu vois j’étais pas comme tout le monde, et puis quand bien même, on peut bien respecter les peurs des gens non ? Je l’ai fait quand même, et tu m’as dit que tu allais me mettre “5” parce que je t’avais “manqué de respect”.. À cause de toi mec, j’ai raté la mention bien. Je sais pas bien ce que ça a pu te rapporter…
Par contre : big up à mon prof de dessin, qui m’a laissée venir manger mon repas dans sa salle de classe tous les midi, parce qu’à la cantine je me sentais très mal. Je n’étais pas capable à l’époque d’identifier que c’était le bruit, la foule et la lumière, mais toi tu n’as jamais posé de question. J’ai dit “je peux manger là ? Je travaille sur mes projets en même temps, je me mets dans un coin et je vous dérange pas”. Il a dit “ok”, et c’est tout. Un an après, mon père l’a su, et j’ai été forcée d’aller à la cantine.
Rétrospectivement, c’est une nouvelle lumière sur chaque souvenir, chaque rencontre. Enfant, adolescente ou adulte, il y a eu ceux qui ont refusé, et ceux qui ont dit “ok”. C’est la vie, et je suis certaine que ce n’est pas un ressenti réservé exclusivement aux autistes, même si pour nous ces situations sont bien plus nombreuses.
Comment savoir si on est HPI ou autiste ?
En allant voir un spécialiste et en faisant des tests. On peut trouver des pistes en lisant des témoignages, des articles spécialisés… Mais pour avoir une vraie réponse, il faut la demander à des professionnels. Le haut potentiel et l’autisme Asperger ont souvent des traits similaires, et d’après ce que j’ai pu lire jusqu’ici il n’est pas rare que les deux cohabitent. Personnellement, j’avais surtout besoin de savoir si j’étais autiste. C’était le diagnostic qui m’apportait le plus de réponses pour me connaître. Mes deux psy m’ont proposé le test psychométrique, mais ça n’était pas assez important pour moi. Ça le sera pour d’autres, il faut faire ce qui vous semble bien. J’ai été testée quand j’étais petite, c’est quelque chose qui avait manifestement questionné mes parents et si je n’ai pas plus de détails sur les résultats, je sais juste que j’ai sauté une classe à la suite de ça.
Faites en fonction de ce qui est important pour vous pour savoir qui vous êtes. Ce qui est bon à savoir, c’est qu’il semble courant que le QI des personnes Asperger soit hétérogène, c’est à dire qu’il peut être très bas (inférieur à la moyenne) sur un domaine de compétences (par exemple se situer dans l’espace), et très haut voir maximal dans d’autres (compétences orales, logique…). Cette hétérogénéité ne permet pas vraiment de calculer un QI global, mais du coup ça peut être un indice important quand on recherche un trouble du spectre autistique (TSA), ce qui explique que dans un diagnostic on vous le proposera peut être.
Et voilà ! Je me suis efforcée d’être la plus transparente et précise possible, cependant je ne vais pas m’étendre sur tous les détails que sont les symptômes, traits… puisqu’il existe déjà des ressources pour ça. Je suis autiste Asperger et je peux parler de mon expérience, mais je ne suis pas médecin.
Du coup, voici quelques liens que j’ai trouvé intéressants.
La vidéo de Julie Dachez pour une petite définition rapide de l’Asperger https://www.youtube.com/watch?v=AztIvuJ9WK0&list=PLAajWbhAK2MULSWufzaTWH5_CkHyeiqp0
La vidéo de Julie Dachez sur la théorie des cuillères et la fatigabilité https://www.youtube.com/watch?v=joucXLKXbO8&t=
Une vidéo de Joseph Schovanec, dont l’humour très particulier et vif me fait ricaner à tous les coups https://www.youtube.com/watch?v=wu5EILxuaeU
L’article de Wikipédia sur le syndrome d’Asperger, que je trouve complet et bien construit https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d%27Asperger
Une conférence avec les témoignages de plusieurs autistes https://www.youtube.com/watch?v=McH8z-A8btw&t=
Le livre “Aspergirl” de Rudy Simone. Je ne vous mets pas de lien, j’ai pas envie de choisir un revendeur plutôt qu’un autre. Il est écrit par une Asperger spécifiquement pour les femmes, et leurs parents/conjoint-e.